9 février 2018 - Me Thomas FILIOL DE RAIMOND

Compte courant d’associé – Divorce – Actif de la communauté

Il découle de l’article 1421 du Code civil que chacun des époux a qualité pour administrer seul les biens communs, et dès lors, exercer les actions en justice relatives à ces biens.

Malgré sa simplicité apparente, cette règle suscite un contentieux important.

Les époux sont en effet « interchangeables » en ce qui concerne la gestion des biens relevant de la communauté puisqu’ils peuvent prendre seuls, l’un comme l’autre, l’initiative de conclure des actes portant sur les biens communs.

Néanmoins, une fois le contrat signé, seul l’époux ayant pris l’initiative contractuelle a qualité pour agir s’agissant de l’exécution du contrat.

C’est ce que précise clairement la Cour de cassation dans son arrêt du 9 février 2011 Zorzoli Behul c/ SAS Maison du Monde n° 09-68659.

Confirmant un arrêt de la Cour d’appel de Versailles, la plus haute juridiction décide que l’épouse commune en biens n’a pas qualité pour agir en remboursement du compte courant d’associé dont son mari était titulaire, peu important que la somme provenant d’un tel remboursement dût figurer à l’actif de la communauté.

Le principe de l’effet relatif des contrats selon lequel « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes » est réaffirmé.

La Cour de cassation précise à cet égard que si les époux bénéficient d’un pouvoir concurrent de gestion des biens communs, un époux n’a aucun droit propre à obtenir l’exécution d’une convention conclue par l’autre.

L’époux qui n’a pas la qualité de partie à la convention voit ainsi son pouvoir de gestion considérablement limité, quand bien même elle porterait sur des biens revenant à la communauté.

La « gestion concurrente » des biens communs par les époux s’arrête ainsi à la conclusion du contrat pour laisser place à la « gestion exclusive » de l’époux signataire.

Encore faut-il que le contrat ait été conclu sans fraude des droits de l’époux commun en biens.

En effet, un époux ne peut en aucun cas employer des biens communs pour réaliser un apport en société, que ce soit en capital ou en compte courant d’associé, sans en avoir préalablement averti son conjoint et qu’il en soit justifié dans l’acte.

Celui qui n’aurait pas été averti de cet apport en société pourrait dès lors agir en nullité par l’application combinée des articles 1427 et 1832-2 du Code civil.

Cette solution a d’ailleurs fait l’objet d’un second arrêt important de la Cour de cassation du 23 mars 2011 n° 09-66512.

Cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon, la Cour de cassation décide de façon particulièrement rigoureuse que l’apport en société accompli par un époux commun en biens, hors des limites de ses pouvoirs, relève de l’action en nullité spécifique de l’article 1427 du Code civil.

L’action en nullité qui pourrait être introduite par l’époux victime de cet apport est dès lors soumise à une prescription courte de deux ans à compter du jour où il en a eu connaissance, sans pouvoir être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.

Ce faisant, la cour exclut toute possibilité de pallier cette prescription en invoquant les dispositions de l’article 1421 du Code civil qui permet au conjoint d’invoquer plus largement la fraude à ses droits dans un délai de trente ans.

La sévérité de cet arrêt ne passera pas inaperçue.

En effet, au nom d’une certaine sécurité juridique, l’apport en société réalisé à l’insu de l’époux commun en biens devient incontestable à l’expiration d’un délai de deux ans.

Un compte courant d’associé semble donc plus sûr qu’un compte bancaire pour mettre des sommes appartenant à la communauté à l’abri des velléités de l’époux commun en biens !

Encore faut-il choisir le bon cheval : la restitution des fonds pourrait en effet être compromise en cas de dépôt de bilan de la société bénéficiaire de la convention de compte courant.